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Fait marquant | Biologie structurale

Les fils de protons au cœur du mécanisme de transport


Les chercheurs de l'Irig ont révélé la structure de la bactériorhodopsine, à la résolution atomique réelle. Cette protéine sert de modèle d’étude du transport des protons, car c’est une pompe à protons activée par la lumière.
Ces découvertes montrent que les liaisons hydrogène ne sont pas seulement des voies d'accès aux protons, mais qu’elles sont également indispensables pour les communications à longue distance, la signalisation et le stockage des protons dans les protéines.

Publié le 20 décembre 2022

​Les liaisons hydrogène sont fondamentales pour la structure et la fonction des macromolécules biologiques. Les chaînes de liaisons hydrogène (CHB) et les liaisons hydrogènes à faible barrière (LBHB) jouent des rôles essentiels dans la catalyse enzymatique et le transport des protons. 

Différentes équipes de recherche ont mis en évidence des états fonctionnels fondamentaux et intermédiaires de la structure de la bactériorhodopsine, une protéine qui sert de modèle dans les études sur le transport des protons, car c’est une pompe à protons réactive à la lumière. Cependant, la structure étant résolue seulement à environ 2 Å, cela ne permet pas d’obtenir une image suffisamment précise du mécanisme moléculaire du transport des protons. 

Ayant consacré plus de 20 ans à relever les nombreux obstacles cristallographiques, les chercheurs de l'IRIG sont parvenus à obtenir des structures de la bactériorhodopsine à la résolution atomique réelle (environ 1 Å). Pour la première fois, un résultat expérimental montre une image remarquable du mécanisme de stockage et de libération des protons dans les chaînes linéaires de liaisons hydrogène LBHB souvent appelées fils de protons (proton wire). 
L'image complète des CHB et LBHB révèle leurs rôles multifonctionnels. Il apparaît que les liaisons hydrogène CHB et LBHB servent non seulement de voies de transport aux protons, mais elles sont également indispensables pour les communications à longue distance, la signalisation et le stockage des protons dans les protéines. 
Cette image cohérente du transport et du stockage des protons permet de clore le débat de longues controverses.

Ces travaux élucident les mécanismes du transfert des protons dans les cellules. Ils montrent aussi le rôle biologique important des chaînes unidimensionnelles de liaisons hydrogène et de leur symétrie, décrites en termes physiques. Les études actuelles visent à clarifier l'universalité des mécanismes trouvés (les réactions de transfert de protons représentent plus de 50% de toutes les réactions biochimiques) et leurs applications possibles dans les nanomatériaux.

Historique
En 1971, Dieter Oesterhelt et Walther Stoeckenius ont découvert la bactériorhodopsine, première rhodopsine microbienne. En recevant le prix Lasker en 2021, Dieter Oesterhelt a déclaré : "J'ai d’abord essuyé toutes les critiques, confronté au désintérêt à l'incrédulité totale des collègues. Heureusement, la situation a rapidement changé à partir de 1972, lorsque j'ai recueilli les premières données sur la fonction de cette molécule et montré qu'il s'agissait d'une pompe qui convertit l'énergie lumineuse en énergie chimique pour la cellule - une nouvelle forme de photosynthèse essentiellement."

L'une des raisons du grand intérêt scientifique était que les résultats de D. Oesterhelt et W. Stockenius montraient comment le gradient de protons dans la bactériorhodopsine H. halobium, jouait un rôle central dans le couplage énergétique attribué à de tels gradients électrochimiques, selon la théorie chimiosmotique de Mitchell, publiée en 1966. Bien que cette théorie fut reçue avec scepticisme, elle a finalement été consacrée par la communauté scientifique (prix Nobel, 1978) pour les travaux de synthèse sur le couplage des ATP dans les vésicules lipidiques de bactériorhodopsine-ATPsynthase.

Cependant, l'élucidation du mécanisme moléculaire de la bactériorhodopsine nécessite l’obtention de ses structures avec une très haute résolution, ce qui s'est avéré être un grand défi. D’autant plus que dans les années 1970-80, les chercheurs ne savaient pas cristalliser une protéine membranaire. Hartmut Michel, a écrit dans son autobiographie du prix Nobel (1988) : "Frustré par l'absence de succès final avec la bactériorhodopsine, j'ai essayé de cristalliser plusieurs autres protéines membranaires, principalement des protéines photosynthétiques".

Il a fallu attendre 1990, quand Richard Henderson fut le premier à développer la cristallographie cryoEM en travaillant sur la bactériorhodopsine avec une résolution de 3 Å, un record pour l'époque (prix Nobel, 2017).   

En 1996-1997, une autre avancée se produisit, quand E. Landau et J. Rosenbush ont cristallisé la bactériorhodopsine dans une phase cubique lipidique "exotique" ; puis, Eva Pebay-Peyroula de l'IBS de Grenoble, en a résolu la structure à 2,7 Å.

De plus, le développement de la cristallisation en phase cubique de la bactériorhodopsine a été un facteur clé dans les études de la biologie structurale des récepteurs RCPG, la plus grande famille de récepteurs humains, et qui sont déterminants pour le développement de 30 à 40% des médicaments (Prix Nobel, 2012).

CHB (Chain of Hydrogen Bond) : fils de protons
LBHB (Low Barrier of Hydrogen Bond) : liaisons hydrogènes à faible barrière
Bactériorhodopsine est une protéine qu'on trouve chez certaines archées, notamment les halobactéries. Elle fonctionne comme une pompe à protons en utilisant l'énergie lumineuse pour générer à travers la membrane cellulaire un gradient de protons qui est ensuite converti en énergie chimique.
Récepteurs RCPG : Parmi les nombreux récepteurs qui jouent un rôle dans la communication cellulaire, les récepteurs couplés aux protéines G (RCPG) constituent la plus grande famille de récepteurs membranaires de mammifères puisqu’elle représente 3,4 % du génome.

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