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Fait marquant

Frustration magnétique dans un réseau de pentagones


Dans le but d'étudier la frustration magnétique, des chercheurs de l’Irig ont caractérisé le magnétisme résultant de la frustration dans le Bi2Fe4O9, où ils ont identifié pour la première fois un modèle de réseau pentagonal d’atomes magnétiques. La diffraction de neutrons leur a permis d'observer l'état fondamental ordonné original de ce composé. La diffusion inélastique de neutrons leur a donné accès aux ingrédients microscopiques à l'origine de cet ordre orthogonal.

Publié le 20 décembre 2020
Le magnétisme a une énorme influence sur bien des aspects de notre vie courante, qu’il s’agisse par exemple de moteurs électriques ou du stockage des données numériques. À cause de cette importance, la recherche fondamentale s'intéresse beaucoup à la compréhension à l'échelle atomique des mécanismes d’interactions à l’origine des propriétés magnétiques d’un matériau. En marge des aimants permanents (ferromagnétiques), de nombreux composés présentent, en dessous d’une certaine température, un ordre appelé antiferromagnétique où les moments magnétiques portés par les atomes s’apparient deux à deux sous forme de paires antiparallèles, ainsi que l’avait prédit Louis Néel (prix Nobel 1970). Les choses deviennent cependant plus compliquées lorsque les interactions magnétiques pilotant cette mise en ordre sont antagonistes entre elles et ne peuvent pas être satisfaites toutes en même temps. La matière est alors sujette à ce que l’on appelle de la frustration magnétique qui a pour conséquence de créer des états fondamentaux beaucoup plus complexes.

Afin de pouvoir observer, caractériser et comprendre ces états fondamentaux, les matériaux modèles sont habituellement choisis avec un motif géométrique particulier, caractérisé par un nombre impair de liaisons entre atomes magnétiques, ce qui ne permet pas de satisfaire toutes les interactions. Les cristaux les plus étudiés sont ainsi constitués de réseaux à base de triangles (Figure 1). Pour aller au-delà du triangle, le polygone avec le plus petit nombre impair de liaisons est le pentagone. Il était donc tentant de sonder de tels phénomènes de frustration dans des cristaux dont l’ordre atomique est constitué par des réseaux de pentagones, afin de voir quelles étaient les similitudes et les différences par rapport aux triangles.

Figure 1 : Illustration de la frustration géométrique dans les matériaux où les atomes magnétiques occupent les sommets d’un triangle. Lorsque les moments magnétiques interagissent de façon antiferromagnétique (ils tendent à pointer dans une direction opposée à leur plus proche voisin), alors, dans le cas ou deux spins sont antiparallèles, le troisième spin ne peut pas satisfaire simultanément les interactions avec les deux autres. La frustration empêche ainsi les moments magnétiques de s’ordonner de façon antiparallèle lorsqu’ils sont soumis à une très basse température.

Des chercheurs de l’Irig ont pu caractériser plus précisément le magnétisme résultant de la frustration dans le composé Bi2Fe4O9, dans lequel ils ont identifié pour la première fois un modèle de réseau pentagonal d’atomes magnétiques. Pour ce faire, ils ont utilisé la diffraction de neutrons en se plaçant en dessous de la température d’ordre magnétique (240 K). Ils ont ainsi pu observer l'état fondamental ordonné original de ce composé présentant un arrangement orthogonal des moments magnétiques (Figure 2).

Par diffusion inélastique de neutrons, ces chercheurs ont pu en outre avoir accès aux ingrédients microscopiques à l'origine de cet ordre orthogonal, et mieux le comprendre. En quantifiant les différentes interactions magnétiques par comparaison du spectre des excitations mesuré avec celui provenant de différents modèles, les chercheurs de l’Irig ont mis en évidence les mécanismes de la frustration dans Bi2Fe4O9 issu des trois interactions en compétition au sein des pentagones. Ils ont montré qu’il existait une hiérarchie dans la force de ces interactions conduisant à un réseau dominant de paires de moments magnétiques couplés de façon antiferromagnétique. Les deux moments magnétiques de ces paires ont une réponse beaucoup plus faible à un champ magnétique ou à la température que les autres atomes magnétiques de la maille à cause de leur interaction mutuelle très intense. Même au dessus de la température d’ordre, dans l’état paramagnétique où les fluctuations thermiques sont censées supprimer l’ordre magnétique, ces moments forment un état magnétique original, ni totalement désordonné, ni totalement ordonné, constitué de dimères de spins encore très fortement couplés dans un océan de spins fluctuants.


Figure 2 : Arrangement magnétique des atomes de fer (en bleu et orange) sur le réseau pentagonal de Bi2Fe4O9. Les ellipses bleues soulignent les paires de moments magnétiques antiferromagnétiques fortement couplés (dimères).

Cette étude révèle de nouveaux comportements statiques et dynamiques de certains matériaux présentant de la frustration magnétique liée à une géométrie pentagonale et des interactions hiérarchiques. Ces travaux s’inscrivent dans l’effort de compréhension générale des mécanismes de mise en ordre dans la matière complexe et ont essaimé dans d’autres domaines au-delà du magnétisme. 

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Antiferromagnétisme